La concentration des industries culturelles en Europe face au défi de la diversité
À la faveur du rachat de la SOCPRESSE par le groupe de l’avionneur Serge Dassault, le début d’été 2004 fait réapparaître le débat sur les conséquences de la concentration des industries pourvoyeuses de biens culturels sur la pluralité de la production de contenus.
Rapport
Sous la direction de
Jean-Marc Vernier
Responsable des études, L’Exception
Jean-Christophe Forestier, Konstantin Kastrissianakis,
Alexandre Montay, Adeline Monzier, Ann-Gaëlle Werner
Étudiants de Sciences-Po Paris
Ce débat ne se limite ni aux frontières françaises, ni à la question de la pluralité de l’information. Il tire sa légitimité d’un simple constat : aujourd’hui la production et la diffusion des biens culturels (livres, disques, films, presse...) est aux mains d’une poignée d’énormes groupes transnationaux. Dans un tel environnement, d’aucuns craignent, et ce à juste titre, que l’originalité de la création ne soit sacrifiée sur l’autel de la rentabilité de produits standardisés, best-sellers et autres blockbusters. L’utilisation de vocables anglo-saxons pour nommer le fulgurant succès de produits culturels, n’a d’ailleurs rien d’innocent. Le débat oppose, bien souvent, de façon caricaturale voire mythifiante, la production et la diffusion industrielles standardisées américaines à la production intimiste originale à l’européenne pour ne pas dire à la française.
Au-delà de ces querelles de clocher et en dehors de toute inscription dans un cadre national, un tel débat oppose deux conceptions parfaitement divergentes des biens culturels qui nous mènent à une question faussement naïve : Produit-on et diffuse-t-on un bien culturel comme une voiture ou un paquet de lessive ? On touche ici au point névralgique de la réflexion. Car soutenir la thèse de la spécificité essentielle du bien culturel, conduit, par ricochet, à soutenir celle de la singularité du marché des biens culturels. Une singularité qui implique que « la main invisible » du marché se laisse guider par le bras du politique.
C’est dans ce cadre de réflexion que s’inscrit le présent rapport. Son ambition est de fournir une approche empirique et quelques pistes d’analyse pour tenter de penser les nouveaux enjeux de la culture mondialisée.
Nous partons dans un premier temps d’un constat banal : celui de la profonde mutation du marché des biens culturels depuis deux décennies. Un constat qui nous conduira à examiner les raisons profondes de la transformation d’une production et d’une diffusion largement nationales, fruits d’acteurs multiples, à celles concurrentielles et mondialisées abandonnées à d’énormes groupes transnationaux. Or ce nouvel environnement économique pose ouvertement la question, non seulement de la régulation efficace de la concurrence (lutter contre l’abus de position dominante) mais aussi celle bien plus profonde de la diversité culturelle et de la protection des indépendants. Nous nous attacherons ici à examiner les mécanismes d’aides mis en œuvre notamment en France et en Allemagne dans le secteur cinématographique. Des mécanismes « d’exception » aujourd’hui remis en cause par la politique de la concurrence de l’Union Européenne, prise en tenaille entre les impératifs tangibles de concurrence économique et ceux plus flous de « la diversité culturelle » .
C’est d’ailleurs à cette question de la « diversité culturelle », comme réaction du politique à la concentration des industries culturelles que sera consacré le deuxième temps du présent rapport. A travers l’examen de sa genèse « empirique » (l’action des lobbies à la Commission Européenne), comme à travers celui de sa lente maturation sémantique, nous finirons par interroger la viabilité d’une notion de portée universelle qui semble définir la culture comme un nouvel enjeu politique mondial.